Faith McPherson

_« I am what I am »_



_ Tell me who I am ... _

« Voici le soir charmant, ami du criminel ;
Il vient comme un complice, à pas de loup ; le ciel
Se ferme lentement comme une grande alcôve,
Et l’homme impatient se change en bête fauve. »

Ses doigts se crispèrent sur le livre qu’elle tenait dans ses mains froides. Ses yeux bleus parcoururent les lignes mouvantes qui se dessinaient sur ces pages aussi blanches que sa peau de porcelaine. Faith accrocha chaque mot de son regard, les faisant vivre à travers un son muet qui émanait de ses lèvres fines alors que le vent balayait avec grâce ses chevaux noirs ébène.

Elle leva les yeux et aperçu les minces filets des rayons du soleil qui venait de se coucher, engouffrant Londres dans l’obscurité. Son regard se perdit sur les immeubles où s’allumaient unes à unes les lampes pour que ces humains puissent ne pas avoir peur des ténèbres. Assise sur une gargouille au sommet de Big Ben, Faith aimait observer la tombée de la nuit tout en sentant la brise caresser son visage. Une chose qu’elle n’aurait pas pu se permettre auparavant. Pensive, ses yeux erraient sur la ville alors que son esprit bouillonnait de souvenirs douloureux.


Née à Londres une décennie après la Seconde Guerre Mondiale, Faith n’a aucun souvenir de son enfance. Aucun acte de naissance ne prouve sa venue au monde, ou s’il en existe un, elle n’en a jamais eu connaissance. Encore aujourd’hui, après de maintes recherches vaines, c’est comme si elle n’existait pas vraiment. Il lui arrive même de douter de son nom, pensant que c’était elle-même qui se l’était inventé pouvant ainsi se donner une identité dans ce monde. Et pourtant, elle avait bien apprit à lire, écrire, compter…Et à jouer du piano avec cette même musique qui revenait encore et encore dans son esprit, comme un mécanisme infatigable qui se répétait à chaque fois qu’elle posait les mains sur un clavier. Etait-ce sa mère, son père ou même un frère ou une sœur qui lui avait apprit ce morceau ? Une question en suspend dans l’air dont elle ne trouvait pas la réponse de même que toutes celles qu’elle se posait inlassablement. Cette recherche d’identité était une souffrance pour elle, comme si elle n’existait pas réellement.

Qui était-elle vraiment ?

Il lui semblait que sa vie n’a pas eu lieu avant ce soir de 1979. Bien que rien ne lui vint en mémoire sur sa vie précédente, cette soirée est devenue à la fois son cauchemar, mais également sa naissance. Une simple rencontre au mauvais moment, au mauvais endroit alors que la lune brillante se reflétait dans l’eau sombre de la Tamise. Une soirée bien arrosée, peut-être trop avec du monde dont les visages ne veulent plus apparaître dans ses souvenirs. Et cet homme. Le genre d’homme qui savait plaire à toutes les femmes qui croisaient son chemin. Un simple échange de regard et la jeune femme se trouvait sur les bords de la Tamise dans les bras de cet inconnu aux yeux verts. Loin de l’agitation de la soirée, des rues bondées de monde, loin du secours qui aurait pu lui être donné… Il, ce dieu, détacha ses cheveux sombres de la jeune femme, simplement retenu par une pince, qui tombèrent en cascade dans son dos. Quelques mots doux, quelques caresses et quelques baisers en peu de temps suffirent à son cœur à ne plus savoir quoi penser et elle s’abandonna dans le creux des bras de Lui, son bourreau, son persécuteur qui planta ses dents dans ce sou si tendre à la peau de porcelaine. Faith tenta de se débattre, mais l’emprise de son amant précipité fut plus forte et l’immobilisa jusqu’à ce qu’elle s’effondre sur les pavés froid sous un pont en pierres. Seule la lune fut témoin de sa vampirisation naïve et brusque. Des ombres s’approchèrent lentement, et rejoignit l’inconnu qui passa sa main sur ses lèvres chauffées par le sang frais que venait de lui apporter cette proie. Rien de plus. La jeune femme plongea ses yeux implorant dans son regard froid, alors qu’il se penchait pour lui offrir un baiser sur le front. Trois ombres le rejoignirent et ensemble, ils quittèrent Londres dans l’obscurité de la nuit, pendant que le venin de la mort se répandait dans le corps meurtri de la victime.

« O soir, aimable soir, désiré par celui
Dont les bras, sans mentir, peuvent dire : Aujourd’hui
Nous avons travaillé ! – C’est le soir qui soulage
Les esprits que dévore une douleur sauvage,
Le savant obstiné dont le front s’alourdit,
Et l’ouvrier courbé qui regagne son lit.
Cependant des démons malsains dans l’atmosphère
S’éveillent lourdement, comme des gens d’affaire,
Et cognent en volant les volets et l’auvent. »

Qui aurait pu la sauver en ce soir de janvier ?

Personne ne vint, personne ne s’inquiéta de sa disparition. Du moins, c’était ce qu’il lui semblait car les jours qui suivirent devinrent froids et aussi sombres que son esprit qui se ferma de tout souvenirs d’enfance et de vie précédente. Lentement, elle mourra dans les bras d’un souffle glacé où la lumière du soleil devint son ennemie et son angoisse. Lentement, elle devint une autre, figée à jamais dans sa vingt-quatrième année alors que son passé se dérobait sous ses pieds. Lorsqu’elle osa enfin s’aventurer dans la nuit sombre, elle se senti d’abord vulnérable, observée. Elle erra dans les rues de Londres à la recherche de ceux qui pourraient l’aider, lui apporter les réponses aux nombreuses questions qu’elle se posait en permanence, piégée dans sa nouvelle quête d’identité. Contrairement à ce qu’elle pensait, elle ne mourrait pas : elle venait de renaître. La vie qui s’offrait à elle était l’éternité. Au fur et à mesure des nuits d’errance, Faith se sentit de plus en plus invulnérable, ce qui lui permit de ne plus avoir peur des longues nuits qu’elle subissait tout en se nourrissant sans craindre le crime. Elle voulait vivre à travers cette nuit sans fin.

Les années qui suivirent furent dédiées aux voyages, à la découverte d’un monde nouveau. New-York, Tokyo, Paris, Rome, Moscou, Prague, et d’autres, furent ses étapes préférées où elle demeura à chaque fois de nombreux mois. Elle devint une vampire redoutable, influente mais seule. Ceci était son choix ; elle ne voulait pas regrouper trop de monde autour d’elle, ce qui lui permit d’avoir des ports d’attaches dans ses villes de cœur où elle tuait, non par vengeance, mais pour assouvir une soif sans nom sans ressentir la douleur de ses proies. Cependant, elle ne comblait toujours pas le vide qu’elle ressentait en elle et son regard bleu, devenait de plus en plus triste lorsqu’il se perdait dans l’horizon. Elle trouva des amis de confiance avec qui elle aimait passer du temps, ainsi que quelques amants par-ci et par-là, sans trop d’attache. Sa beauté froide lui permettait d’acquérir ce qu’elle désirait sans soucis. Elle voulait rester libre, savourant la liberté qui lui avait été offert des années plus tôt. Luxe, beauté, vanité furent son monde dans de somptueuses demeures à travers le monde. Elle aimait cette vie obscure.

2038, Londres. Ce retour aux sources lui paraissait indispensable. Faith demeura silencieuse, reprenant ses recherches concernant son enfance ; mais rien ne vint à elle. Le gouffre qui se trouvait dans son cœur grandissait au fur et à mesure des nuits, alors qu’elle commençait à ressentir l’ennuie du quotidien. Les soupirs se faisaient de plus en plus souvent.
La lune avait bien entamée sa course au milieu des étoiles lorsque ses pas retentirent sur le sol froid de Londres. Une ruelle sombre, silencieuse ; le cadre parfait pour un film d’horreur. Et pourtant, il n’y a pas qu’au cinéma que se passe ce genre de chose… Faith voulait regagner son hôtel, où elle logeait depuis quelques mois. La fraicheur de la nuit ne contrastait pas avec sa peau glacée. Un homme se posta devant elle, plongeant ses yeux sombres dans le regard clair de la jeune femme. Il émanait de lui une haine indéfinissable qu’elle pouvait ressentir sans inconvénients. Cependant, il n’était pas vraiment différent d’elle. Faith voulu passer son chemin, cherchant à éviter le conflit lorsqu’il l’a propulsa à quelques mètres. Surprise, elle s’effondra au sol. Qui était-il ? Elle le regarda, sans bouger et se souvint d’un raid organisé à Prague contre les vampires, ceux de son espèce. Un ami lui avait confié qu’il s’agissait d’une organisation dangereuse dans le but de détruire les êtres de la nuit. Elle était en danger et pour la première fois depuis des années, elle se sentait vulnérable. Sans attendre davantage, elle se releva et se mit à courir dans le noir, essayant tant bien que mal de semer son agresseur. Il fut plus rapide et la rattrapa rapidement, la clouant au sol une seconde fois. L’altercation fut violente, mais Faith ne se montra pas faible et engagea le combat. Elle le repoussa fortement et l’envoya s’écraser contre le mur en briques qui trembla. Cependant, rien ne semblait l’affaiblir, car l’inconnu se jeta à nouveau sur la jeune femme qui reçut un coup brutal au niveau la bouche, provoquant ainsi le saignement de la lèvre inférieure. Même les vampires peuvent être blessé et mourir, chose à laquelle Faith n’osait croire. Mais à cet instant, elle se demandait comment elle pouvait se sortir de cette situation face à un être aussi fort qu’elle, et qui lui voulait la mort. Les coups s’enchaînèrent dans un combat sans limites : elle para, bloqua et asséna des blessures. Au bout de quelques instants, l’inconnu semblait autant mal en point que la jeune femme. Ils se regardèrent un moment, puis il sorti une lame de sa manche et tenta de l’enfoncer dans le cœur de Faith, qui s’écarta juste à temps. L’homme poursuivit ses attaques et la lame brillante s’enfonça dans les cotes de la vampire dans une douleur atroce. Elle étouffa un cri, ne voulant pas alerter les patrouilles de police qui passaient non loin de là. Sa main se porta au niveau de la blessure et se recouvrit rapidement de sang sombre tout en s’effondrant sur le sol froid, aussi froid que la nuit qui l’avait transformée en vampire. L’inconnu se pencha sur elle et au lieu de la tuer comme il aurait du le faire, il l’a souleva pour la porter et s’engouffra dans l’obscurité de la nuit. De nouvelles questions emplirent son esprit, la plongeant dans une totale confusion. Affaiblie, Faith demeura silencieuse et passive à tout ce qui suivit : un bâtiment obscur mais dans lequel se trouvaient des couloirs clairs. En une nuit, Faith se retrouva soldat dans une organisation qu’elle craignait. Au départ, elle refusa de nombreuses fois, et dû se confronter aux nombreuses expériences scientifiques qu’elle subissait, tout en ravalant sa douleur. La souffrance, l’obscurité, la solitude… elle y était pourtant habituée. Combien de jours se sont écoulés alors qu’elle se mordait les lèvres pour ne pas subir la douleur et l’humiliation ? Un des leurs, celui qui l’avait tué une deuxième fois l’a prit sous son aile et l’aida à avancer dans son nouveau monde. Drew Kent, Major dans cette organisation devint le frère qu’elle n’avait jamais eu. Sans toutefois manipuler son esprit, il lui apprit les rudiments de leur ordre ainsi que l’art du combat. Beaucoup de monde a dû croire qu’il y avait autre chose que de l’amitié entre eux et pourtant, ni l’un ni l’autre ne se permit d’avoir des sentiments, autre que fraternel. Au fil des années, leur amitié devint de plus en plus forte alors que la jeune femme ne cessait de s’améliorer et faisant des preuves plus que convaincantes. Faith réussit à se faire une place dans ce nouveau monde, à la fois semblable et très différent de sa vie précédente.

Les jours passèrent, les mois ainsi que les années. Au lieu d’aller rendre visite à ses anciens amis vampires, elle les tua de sang froid, comme celui qui coulait dans ses veines. Son esprit se ferma face à ce qui l’entourait, la plongeant dans un mystère qui lui attribua une qualité. D’habitude si solitaire, elle se créa un cercle d’amis en qui elle avait totalement confiance : Drew, puis Aurora, une policière qui aurait du l’agacer plus qu’autre chose et qui finalement, se retrouve une véritable amie qu’elle apprécie énormément et Aiden, un supérieur qui se montrait également un ami. Ceux qui l’entoure lui permette d’acquérir de la force pour sa nouvelle vie, tout en essayant de fouiller le passé à la recherche de sa véritable identité…

« Recueille-toi, mon âme, en ce grave moment,
Et ferme ton oreille à ce rugissement.
C’est l’heure où les douleurs des malades s’aigrissent !
La sombre Nuit prend à la gorge ; ils finissent
Leur destinée et vont vers le gouffre commun ;
L’hôpital se remplit de leurs soupirs. – Plus d’un
Ne viendra plus cherche la soupe parfumée ;
Au coin du feu, le soir, auprès d’une âme aimée. »

Des gouttes pluies s’effondrèrent sur son livre toujours ouvert à la même page, alors que ses pensées vagabondaient sur les rues désertes de Londres. Faith esquissa un faible sourire et reporta ses yeux clairs sur les lignes de ce poème magnifique tandis que la pluie insistante colla ses longs cheveux sur son visage clair. La jeune femme sentit son cœur silencieux se serrer dans sa poitrine, puis elle se leva et déposa le livre ouvert à la page qu’elle lisait sur la gargouille qu’elle venait de quitter. Faith s’engouffra dans la tour pour descendre et accomplir une nouvelle mission, tandis que l’eau plantait doucement son poison meurtrier au milieu des lignes, soulevant chaque mot pour les faire taire…

« Encore la plupart n’ont-ils jamais connu
La douceur du foyer et n’ont jamais vécu ! »